« Pays du matin frais » transformé en « calme » par les missionnaires occidentaux venus répandre le christianisme (religion d’environ 30% de la population actuelle, devant le bouddhisme !), la Corée du Sud a un passé pour le moins douloureux. A de nombreuses reprises sous la domination des Jurchens, des Mongols, mais surtout des Chinois et des Japonais à travers les siècles, son langage emprunte nécessairement les mots de ses anciens envahisseurs chinois. Les hanjas coréens sont ainsi issus des sinogrammes chinois, tout comme les kanjis nippons.
Durant la période Joseon, du nom de la dynastie, le 4e roi Sejong le Grand (règne 1418-1450) ouvre la voie d’un nouvel âge d’or. Cadran solaire, horloge à eau, pluviomètre, imprimerie (oui, avant Gutenberg) sont autant d’inventions qu’on lui attribue, et surtout la création d’un alphabet coréen, le Hangeul ! A Séoul, son immense statue sur la place Gwanghwamun cache ainsi une exposition souterraine, « L’histoire du Roi Sejong », répartie sur 9 niveaux et 3200m² ! Développement dans les domaines culturel, artistique, éducatif, militaire, politique et social, le monarque est dépeint comme une superstar humaniste n’hésitant pas à vivre dans la sobriété pour être au plus proche de son « peuple du Ciel ». Pas étonnant donc qu’il soit également le héros de nombreux dramas, populaires feuilletons coréens (on a d’ailleurs assisté à un tournage !).
Malheureusement, les temps ont bien changé. Dans un contexte de Guerre froide, Etats-Unis et URSS contribuent à la création des deux Corées. Depuis 1953 et le pacte de non-agression, une Zone coréenne démilitarisée (DMZ) aux environs du 38e parallèle (à seulement 45 km de la capitale) sépare les deux pays, qui porte mal son nom puisqu’elle comporte environ 1 million de mines, et autant de soldats coréens. Ce qui a conduit à la construction d’abris anti-aériens dans des stations de métro, immeubles de bureaux et bâtiments officiels – Séoul en compte plus de 3300 pour une surface totale de 23 km²… Merci qui ?
Mais la Corée du Sud s’est une nouvelle fois relevée, comme en témoignent l’hibiscus syriacus, symbole de persévérance et de détermination au cours de leur histoire (on comprend aisément), et le tigre, animal légendaire symbolisant le pouvoir et la puissance. De fait, en termes de PIB, le pays est passé du niveau des pays les moins avancés d’Afrique et d’Asie dans les années 1960 au 11e rang mondial aujourd’hui !
La capitale Séoul (autrefois Hanyang), métropole de 25 millions d’habitants ultra-connectés, soit la moitié de la population sud-coréenne, et siège des chaebol (plus grandes entreprises) comme Samsung, LG ou Hyundai, en est le meilleur exemple. Le paradoxe est de mise : si le dynamisme économique du pays repose essentiellement sur les exportations, ce même pays n’est autosuffisant qu’à près de 30% (!) et est fortement dépendant de ses importations agroalimentaires. Ajoutons à cela un IDH très élevé, mais un taux de fécondité très bas, et un taux de suicide très élevé (notamment un système éducatif oppressant)…
Heureusement, malgré le froid glacial, on entre dans la période de Seollal, nouvel an lunaire sur trois jours : le premier jour du mois lunaire, la veille et le lendemain. Et c’est dans le traditionnel quartier de Sajik-dong que nous prenons nos marques, ainsi qu’un bibimbap (harmonieux mélange de riz, légumes marinés, œuf sur le plat, sauce piquante), plat populaire et idéal pour contrer ces températures négatives. Sajikdan ou autel de Sajik, site d’offrandes néo-confucianiste pour les dieux de la terre (Sa) et du grain (Jik), se révèle une intéressante première immersion culturelle.
Non loin de là, le Palais Gyeongbokgung nous offre pour l’occasion un incroyable voyage dans le temps, entre démonstration de la garde et visite des bâtisses restaurées. Le Musée national du Palais de Corée nous rappelle aux bons souvenirs de la dynastie Joseon et nous envoûte par ses chants et musiques traditionnels. Quant au Musée folklorique national de Corée, à la découverte de la vie d’autrefois, nous avons droit à une démonstration de danses traditionnelles, et même des ateliers artistiques et culturels en plein air ! A côté des gratte-ciel modernes, le village Bukchon Hanok abrite des maisons typiques du même nom qu’il faut à tout prix conserver. Puis, une balade nous emmène au quartier Insa-dong : galeries d’art, boutiques d’artisanat, restaurants… Dans la ville, nombreuses sont les inconscientes personnes (des touristes, hein) arborant le hanbok, tenue coréenne certes traditionnelle, mais que ce rugueux hiver fait passer pour un maillot de bain. Brrr !
Tiens ? Sur la place Gwanghwamun, de la musique, une foule immense, des drapeaux et des policiers partout, ça a l’air aussi festif que sportif. Les Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang ? Sous couvert de célébrations, c’est en fait une manifestation anti-Kim Jong Un et anti-Moon Jae-in, président sud-coréen actuel. Selon un homme visiblement érudit et particulièrement remonté qui nous interpelle, environ 10% des enseignants du pays seraient pro nord-coréens, n’hésitant pas à réviser des faits historiques. Patron de son cabinet vétérinaire, il dénonce avec des centaines de personnes une politique de complaisance avec un régime dangereux.
Mais ces Jeux controversés, on souhaite quand même y aller pour tâter l’intensité. Un trajet en bus (depuis le terminal Dong Seoul) plus tard, et nous voici dans les tribunes du match de hockey sur glace féminin USA–Canada ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Nord-américain.e.s savent mettre l’ambiance. On retiendra surtout les belles victoires sud-coréennes comme en skeleton, short track, et en particulier l’épopée de l’équipe Kim (et le mème de la capitaine) au curling !
Pour achever notre périple, rien ne vaut une randonnée en montagne, lieu naturel et spirituel, terre du tigre, divinité animale. Direction le Bukhansan National Park et le Mont Bugaksan, spot prisé par les Séoulien.ne.s pour sa proximité avec le centre-ville. Plusieurs possibilités d’accès : on descendra métro 3 station Gubapal, avant de monter dans le bus 704 jusqu’à l’arrêt Bukhansan Mountain. Des statues du Bodhisattva, des temples, des paysages à couper le souffle… on grimpe, on grimpe, jusqu’à apercevoir le sommet Baegundae encore enneigé. C’est déjà le départ, annyeonghi gyeseyo !