Kalýteri óra eínai tóra, « le meilleur moment, c’est maintenant ».
Malgré une situation politique et socio-économique difficile, la Grèce symbolise historiquement le berceau de la démocratie et de la philosophie. Et si on arrivait au cœur des festivités de Pâques et des mouvements citoyens, passant des traditions aux manifestations ?
Tirant ses origines de la mythologie grecque, Athènes aurait été fondée au VIIIe siècle av. J-C. La démocratie athénienne, comme un symbole, naît de la grave crise connue par la cité (inégalité politique entre nobles, artisans et paysans, esclavage pour dettes, etc.). De grandes réformes menées par Dracon, Solon, Clisthène et Périclès ont permis de donner à la démocratie de la Grèce antique ses lettres de noblesse.
Alors à peine les pieds dans la capitale, on sent un parfum particulier. Chez Aikaterini, notre hôte engagée dans le mouvement EI-END, la discussion tourne rapidement autour de la crise et de la responsabilité des politiques. De l’argent, il y en a ! Seulement voilà, les accords de Bretton Woods en 1944 (coucou FMI et Banque Mondiale) sont passés par là… Les organismes financiers et les gouvernements successifs (bienvenue aux derniers, Tsipras avec Syriza) en lien avec l’Europe ont contribué à la crise économique comme migratoire, sans compter la place de la religion dans ce pays à dominante orthodoxe, l’Eglise n’étant toujours pas séparée de l’Etat.
En plein dans la semaine de Pâques, on assiste à la fête la plus importante de l’année, au cours de laquelle les orthodoxes célèbrent la mort puis la « résurrection » du Christ, entre processions endeuillées du vendredi saint devant le Parlement en suivant un cortège (chants funèbres de la fanfare accompagnée par les fidèles tenant leurs cierges) et messes du samedi soir (pope sortant à minuit avec la « lumière du Christ » et célébrant la résurrection d’un « Christos Anesti », feu passant de bougie en bougie). C’est aussi l’occasion de découvrir des traditions comme les œufs décorés ou juste teints en rouge (pelures d’oignon rouge ou autre) pour les batailles : deux par deux, chacun frappe son œuf contre celui de l’autre (bas en haut vice-versa), le gagnant est celui qui garde son œuf intact (signe de chance). Le dimanche pascal, c’est la grande fête, que nous aurons la chance de vivre chez Angie et sa famille, sur l’île de Paros. Couronne de fleurs, agneau à la broche ou kokoretsi, tsoureki (gâteaux secs) et autres mezzés sont autant de mets, sans oublier de trinquer avec le fameux ouzo/raki/souma : yamas !
Ces festivités font temporairement oublier les difficultés, mais les citoyens avertis ont le devoir d’informer la population pour retrouver la souveraineté du pays. Dêmos (le peuple), kratos (le pouvoir) : tiens, le pouvoir au peuple ?
Geốrgios, notre sympathique mais éphémère colocataire de 34 ans, en est un malheureux et révoltant exemple. Venu des hauteurs de l’Olympe avec une bienveillance et une bonté inégalées, il a pourtant dû se résoudre à migrer vers la capitale afin de travailler dans la restauration à raison de 10h par jour et 6j/7, pour 3€ de l’heure… Heureusement, en plus de son inimitable café à la grecque, il cache un trésor inestimable : celui de respirer l’air pur des sommets du Mont Olympe tous les mois, de respecter la faune et la flore en randonnée, et de vivre chaque fois une expérience unique dans un cadre mythique.
Partout, des gens se mobilisent. La culture, essentielle et omniprésente, s’exprime sous toutes ses formes. Le Mojo Trio vit la musique avec l’aide des passants : « nous devons être le changement que nous voulons voir ». Impliqués dans le mouvement des Indignés grecs, décidés à changer le système par la joie et la musique, ils suivent avec attention Podemos, Occupy Wall Street et, plus récemment, Nuit Debout. La vie quotidienne est dépeinte sur nombre de tableaux exposés dans une galerie d’art tenue par un talentueux artiste, Sofloki Telo.
Les vestiges de la Grèce antique sont autant de joyaux : le Parthénon sur l’Acropole, sanctuaire d’Athéna, l’Agora avec les temples d’Héphaïstéion et d’Apollon Patroos ainsi que la colline du Lycabette offrant une vue panoramique (Athènes), ou encore le temple d’Apollon (Naxos).
Puis, cap vers Sounion, classé parc national à l’extrémité de la péninsule de l’Attique. Selon la légende, le cap Sounion est le lieu où, suite aux voiles noires (au lieu de blanches) hissées par erreur par son fils Thésée après son combat victorieux contre le Minotaure, Egée se serait jeté de désespoir du haut des rochers dans la mer, qui depuis porte son nom. Dans ce lieu chargé d’histoire et de puissance énergétique se trouvent surtout les ruines du temple de Poséïdon, et celles du sanctuaire dédié à Athéna. Toujours selon la légende, lors d’une fête à Athènes, un concours fut organisé par les dieux pour déterminer le protecteur de la ville. Poséïdon, dieu des mers, frappa un rocher de son trident, faisant jaillir de l’eau salée. Athéna, quant à elle, créa l’olivier, symbole de paix, et fut élue. Furieux, le mauvais perdant inonda la campagne environnante, jusqu’à ce que son frère Zeus lui offre ce temple en compensation.
Mais la situation tendue de la Grèce se fait sentir, des manifestations et les grèves faisant même fermer l’Acropole, et au-delà des quartiers touristiques comme Syntagma, Plaka, Kolonaki, Monastiraki ou Psirri, on trouve à Athènes des quartiers populaires (mais branchés) révélant un autre quotidien. Celui d’Exárcheia (du nom d’un généreux épicier de la place centrale) est à la fois le foyer de l’anarchisme et de la culture alternative, mais aussi une zone de non-droit, de violences, de prostitution et de commerce de la drogue. Devant tout ce malaise, la rue est aussi un lieu d’expression, et les murs sont autant de tableaux portant des messages forts.
Pour se réconforter, allons goûter la gastronomie grecque ! Chez YdRiA, c’est moussaka, pastitsio, Kolokithokeftedes (beignets de courgette-feta) et spanakopita (feuilleté épinard-feta). Chez Mavros Gatos, pas de chat noir mais pitarakia (chausson feta), bekri meze (viande et fromage) et salade nkatos (bruschetta crétois), arrosé de psimeni raki (délicieux !). Pour s’évader en plein air, le six d.o.g.s. Du bio, local, végétarien mais des cuisines du monde ? Direction l‘Avocado, où un serveur globetrotter s’attristait de constater que ses compatriotes n’aimaient pas la Grèce, alors que pour lui, on se rend compte de la beauté de son propre pays surtout quand on est à l’étranger. Et pour une adresse de cuisine grecque traditionnelle et fait maison, Atitamos ! Sfakiani (crêpe de crème de feta au miel et sésame, un régal), kebab à la sauce tzatziki, gâteau polenta, liqueur de grappa (raisin)…
Période de turbulences, nous n’aurons à plusieurs reprises plus du tout de transports en commun en raison de grèves et de jours fériés, ce qui aura raison de notre périple au Mont Olympe. Qu’à cela ne tienne, un taxi et un ferry plus tard, kalimera les Cyclades ! L’île de Paros, ses couchers de soleil et plages à perte de vue, le port de Naoussa, les carrières de marbre de Marathi, les moulins et villages de caractère comme Lefkes et Prodromos, tous deux reliés par la « route Byzantine », chemin de marche pittoresque… Selon une légende contée par notre conducteur de bus (qui s’improvisera guide touristique), l’olivier que nous croisons est millénaire (au moins 340 ans sûrs). Dans un Bric à Brac, un marchand grec, originaire de l’île mais né au Cameroun, retrouve un peu de son français appris là-bas pour nous parler des taxes croissantes frappant les commerçants (et les habitants), et du gouvernement souhaitant systématiser les paiements par carte pour tracer. Selon lui, cela incitera surtout à encaisser de plus en plus sans tickets en désaccord avec cette loi. Toutes ces histoires ouvrant l’appétit, un tour chez Pepe’s Souvlaki nous ravit les papilles, tout comme les plats fusion de The Little Green Rocket (frais, maison et local !) dont un des serveurs a étudié les Beaux-Arts en France. C’est aussi ce qu’a souhaité suivre le fils de Patricia, co-gérante du restaurant franco-grec To Spitiko, avant de marcher dans les pas de papa en cuisine. Le gouna (poisson salé, séché au soleil et grillé) et le poulpe aux épinards dégustés devant un dernier coucher de soleil particulièrement captivant, et c’est déjà le départ pour Naxos, sa voisine.
Là encore, après avoir admiré le temple d’Apollon, le Mont Zeus nous appelle, mais la malédiction antique s’acharne visiblement et faute de transport, la balade sur les hauteurs se fera dans la vieille ville historique. Cachée dans le dédale de rues du quartier du marché ancien, la taverne Vassilis, son dolma (feuilles de vigne farcies de riz), son lapin stifado et sa moussaka à tomber nous font tout oublier. Durant la balade digestive, on tombe sur Dimitris, alias Dimitrakis, ancien DJ reconverti dans l’art sur verre, et gérant de Yalomorfon. Un vieil homme lui avait dit que pour réussir, il n’avait que trois choix : pratiquer, pratiquer et pratiquer. Ce qu’il a fait. L’univers musical ne lui manque pas, les deux seuls thèmes de la musique grecque étant l’amour et la séparation, mais surtout, la musique n’est pas seulement ce qu’on entend, c’est ce qu’on ressent, c’est l’art et l’harmonie. Justement, pour lui, l’art et la vérité dépendent du point de vue, et que parfois, il faut simplement laisser son travail exister par lui-même et ne pas chercher à le maîtriser. Pas avare en histoires, on apprendra que les allées, véritable labyrinthe, étaient à l’origine destinées à perdre les intrus, les locaux pouvant traverser le village par les toits ou certaines portes des maisons. Un homme attire notre curiosité, saxophoniste de rue déjà croisé à Athènes et Paros : ce touriste venant de Hanovre et originaire de Hambourg est également peintre, et s’interroge sur le (non) intérêt des gens à l’égard des arts. Repos chez Margot, mélange subtil entre un hôtel (pour son confort) et une auberge de jeunesse (pour son ambiance, ses hamacs, son coin lecture, ses projections en plein air).
Revigorés, allons affronter Santorin ! Si cette petite île possède un charme certain et des paysages de rêve (la caldera et les fameuses maisons blanches aux toits bleus avec piscine), le nombre de touristes venant par car(go)s, avions, ferries, bus nous font tourner en bourrique. Les ânes sont d’ailleurs, paraît-il, plus nombreux que les habitants, si utiles pour les balades et les savons. La promenade pour apercevoir le célèbre coucher de soleil d’Oia (prononcer [ia]) vaut son pesant d’or rouge, tout comme la baignade en mer Egée et la sieste sur la Red Beach d’Akrotini, suite à la visite de ruines archéologiques retraçant l’histoire pour le moins volcanique de Santorin. Grève oblige, c’est non sans mal que nous montons dans un ferry de nuit pour retourner à Athènes (plus de bus, plus de place, nous nous surclasserons nous-mêmes en business class).
Arrivés à bon port (du Pirée) au petit matin en cet énième jour de grève, nous découvrons un bien triste spectacle. Des centaines de tentes de migrants et de réfugiés, hommes, femmes et enfants, guettant désespérément un nouveau départ en survivant provisoirement. A côté, une horde de touristes affublés de la panoplie complète descendant de bateaux pour s’engouffrer dans d’innombrables taxis jaunes. Deux mondes coexistant mais ne se touchant pas…
A la veille de quitter la Grèce et à la recherche d’un logement pour la nuit, nous réservons, sans grande conviction, une chambre bon marché dans un des rares hôtels encore disponibles. Tiens, Exarcheia ! Bâtiment miteux et puant, chambre insalubre aux draps tachés et aux trous dans le plancher, cafards, clients curieux et patron louche (yeux rougis, paupières tombantes, cherchera à nous faire changer d’immeuble et obtenir du cash en prétextant une panne de machine), on quittera fissa cet endroit. On apprendra plus tard que c’est un lieu idéal pour le commerce de la drogue et de la prostitution… A l’air libre, on tombe sur des citoyens qui ne demandent qu’à le devenir, donnant de la voix au cours d’une manifestation contre les projets de réforme des retraites et des impôts.
Et après un dernier délicieux repas maison à Karamanlidika, direction Elefthérios-Venizélos. Le taxi étant le seul moyen de transport, tous les coups sont permis, à l’image de notre chauffeur peu scrupuleux qui tentera vainement de nous extirper plus qu’annoncé. Ouf, enfin à l’aéroport, où, éreintés, on se laisse tenter par le Sofitel, avant de retrouver avec joie les banquettes de l’aéroport (230€, vraiment ?). Allez, athio !