Quand on évoque l’Islande, on pense tout de suite au froid polaire et aux nuits sans fin de l’hiver, aux champs à perte de vue et aux volcans en activité, aux routes enneigées et aux âmes temporairement recroquevillées dans une vie au ralenti. Comme c’est aussi le théâtre du ballet aérien des aurores boréales, appréciable spectacle son et lumière naturel qui se joue gratuitement au gré du temps, nous voilà à Reykjavik.
Arrivant en pleine tempête de neige dans la « Baie des fumées », on se dit que nos pauvres orteils vont y passer. Mais après seulement quelques pas dehors, le soleil réapparaît et le ciel montre son bleu azur ! C’est à n’y rien comprendre. Le bus local Straeto n°55 nous permet d’arriver dans la capitale en profitant des premiers paysages tout en étant moins cher que les nombreuses navettes aspirant les touristes pour une virée sur l’autoroute. Accueil sécurisant de notre hôte Eyrun, qui après un premier interrogatoire échange, nous révèle qu’elle officie dans la police au titre d’inspectrice-détective en chef, au sein du service de criminologie spécialisé dans les affaires de haine raciale. Je me disais bien que sa bibliothèque recelait beaucoup d’ouvrages traitant du sujet, indice de ses études en anthropologie sociale… élémentaire, mon cher Lévi-Strauss. Comme on dit ici, « une personne sans livres est aveugle ». Bon, et si on prenait l’air en cette première nuit islandaise ? A peine dans le jardin, on se laisse emporter par le calme environnant, marchant dans la neige et levant les yeux (qu’on devra aussi se frotter). Un mirage ? En plus des scintillantes étoiles, des teintes vertes et rouges se promènent dans le ciel… les aurores boréales ! Nous comprendrons plus tard notre chance d’avoir pu les admirer dès le premier soir car elles se feront ensuite bien plus discrètes. La douche-WC à l’eau chauffée par la géothermie et les deux couettes individuelles nous attendant dans l’unique lit nous donnent un aperçu des traditions scandinaves : tous les moyens sont bons pour contrer le froid !
Frais et dispos après une nuit de repos, on attaque tout de suite le Mont Esja (bus n°57), visible au loin depuis Reykjavik. Ayant déjà eu un aperçu, on grimpe au rythme des Quatre saisons (Vivaldi serait si fier !) : après la neige, on se fait embrumer, le sentier et le paysage disparaissant soudainement totalement, nous laissant dans le brouillard et le blanc immaculé de la montagne. Pas très inspirant. Après plusieurs minutes de tâtonnements et de « on voit rien ! », le ciel se dégage heureusement, permettant de retrouver autant la vue que son bleu, avec en prime un soleil éclatant. La balade peut continuer, ce qui sera de courte durée : autant en emporte le vent, celui-ci vient à nouveau de tourner. Alors qu’on se rapprochait d’un pas décidé vers l’imposant rocher symbolisant l’arrivée, ce dernier a tout bonnement disparu dans l’immensité ! N’y voyant plus à plus de deux pas, glissant dangereusement sur des plaques de verglas, on rebroussera finalement chemin, vaincus par le Mont Esja. Ecoutant le proverbe « si tu n’aimes pas le temps qu’il fait, attends cinq minutes », on part profiter d’une vue panoramique à 360° sur les hauteurs de la précieuse Perlan – six réservoirs d’eau thermale couvrant près de la moitié des besoins en eau de la capitale – avec une part de Stollen et un thé Sencha. Au crépuscule, pour revoir les aurores et sur les conseils avisés d’un professionnel du tourisme, direction le phare Grotta (bus n°11), spot d’observation privilégié des Reykjavikois. L’occasion de mettre notre patience à rude épreuve car malgré la nuit tombée et le ciel dégagé, loin de toute pollution lumineuse, on appréciera surtout les étoiles et le froid glacial.
Cette période est également une occasion rêvée pour les rassemblements sociaux et découvertes culinaires autour de þorrablót, la fête de l’hiver célébrant l’ancien mois viking du dieu þorri. Les Islandais, dont l’Histoire est à l’origine empreinte de paganisme, a par la suite connu une évangélisation sanglante qui s’est soldée par un passage forcé au christianisme (et même luthérien). Direction Hafnarfjördur (bus n°1 ou 55), la « ville dans la lave » puisque construite sur des champs de lave, important port commerçant au cœur de la région géothermique de Krysuvik. Connue pour abriter selon certains toute une population de petits êtres surnaturels du Huldufolk (elfes, gnomes, lutins et toute la bande) visibles (ou pas) dans le parc public Hellisgerdi, c’est aussi un haut-lieu de rassemblement viking. L’unique restaurant dédié du pays, Fjörukráin, propose ainsi une cuisine traditionnelle faite de testicules de bélier, requin faisandé, baleine et autres gourmandises qu’on se fera un plaisir de ne pas goûter – merci à l’intense suractivité de pêche commerciale, qui tourisme oblige, continue de décimer ces populations aquatiques, sachant que seule 5% de la population locale en consomme. D’ailleurs, quand on sait que le mot viking signifie « personne vivant sur la baie », que les petits poneys colorés qu’on aperçoit dans les champs sont sensiblement les mêmes fières montures chevauchées du temps des guerriers, qu’on peut encore vous servir de la bière Viking à 2,2 %, ça vous brise un mythe. Après une visite du musée Hafnarborg – et la charge malheureusement justifiée de la sympathique chargée d’accueil sur les trop nombreux compatriotes aux comportements parfois hautains à l’étranger et aux efforts minimes pour parler autrement qu’en français –, on préfèrera retourner dans la capitale pour déguster un peu de soupe d’agneau au Café Babalu et de spécialités poissonnières à l’Islenski Barinn, véritable institution mêlant tradition et modernité : chaleur et efficacité du service, ambiance jazzy et tamisée, produits frais et cuisine maîtrisée… On en redemande !
Après une immersion ornithologique dans la petite réserve naturelle de Heidmörk (bus n°5 – proverbe local : « si tu es perdu dans une forêt islandaise, lève-toi »), la promenade littorale le long du Lac Tjördin nous emmène du moderne Hôtel de Ville à la sculpture Solfar en passant par la typique et politique Höfdi House – historique rencontre entre Reagan et Gorbatchev, et faisant office de résidence chic pour de nombreux Chefs d’Etat et personnalités publiques. Puis à la brillante et immense salle de concert Harpa, qui sonne le départ de notre périple ar(t)chitectural : à l’intérieur du parking attenant, on se délecte de nombreuses œuvres de street art qu’on retrouve également le long des boutiques et cafés de la rue Laugavegur, on lève les yeux au ciel pour apprécier la contemporaine Hallgrimskirkja, imposante « église-fusée » luthérienne symbolisant des orgues de lave basaltique islandaises, on assiste à la performance d’Ilmur Stefánsdóttir (la fille de Stefán, donc) et du groupe Cyber à l’Art Museum, on voyage dans le temps et dans l’Histoire du pays au National Museum of Iceland (population à l’origine iRlandaise, donc) et au Reykjavik 871 +/-2 – The Settlement Exhibition.
Parmi les différentes manières de célébrer l’hiver et d’éviter la morosité, les habitants de Reykjavik ont eu l’idée d’un Winter Lights Festival, « Fête des Lumières de l’Hiver » (merci pour Lyon). Au programme, animations son et lumière en ville (y compris dans la bibliothèque municipale !), courses nocturnes cyclistes et pédestres organisées par la compagnie WOWair, Nuit des Musées et… plus surprenante Nuit des Piscines ! Cet événement sera l’occasion de plonger dans Laugardalslaug. Au menu : initiation obligatoire au naturisme pour tous – velus ou non, tous à poil ! – dans la douche (non-mixte), aquayoga et méditation dans le bassin extérieur, bains thermaux (de 38 à 44°C, ainsi qu’un hot tub glacé et un autre à l’eau de mer), kayak dans le bassin olympique, lâcher-prise dans le sauna et concert final dans l’eau. On comprend aisément pourquoi c’est l’une des piscines chauffées par géothermie les plus prisées d’Islande.
Naturellement, difficile de passer à côté de l’une des destinations phares appelée le Cercle d’Or. S’il s’agit d’un repaire à touristes aux perches à selfie toujours plus longues, admirer ces paysages vaut effectivement son pesant… d’or. Première étape, le parc national de þingvellir, qui voit les plaques nord-américaine et eurasienne s’écarter chaque année de 5 mm. La « plaine du parlement », somptueux amphithéâtre naturel idéalement situé, renferme surtout les origines du système constitutionnel islandais. Créée en 930 à l’initiative des chefs de clans, l’Alþing était une assemblée annuelle durant deux semaines ayant pour objectifs de régler des conflits et d’édicter des lois, paradoxale leçon de démocratie donnée par les sanguinaires Vikings, d’autant que tout homme libre avait le droit de participer aux réunions ! Après de nombreuses péripéties, c’est aussi à þingvellir que fut proclamée, le 17 juin 1944, l’indépendance du pays.
Puis, remontant le courant du lac Þingvallavatn, on amarre à la « Chute d’or » de Gullfoss. Si son débit reste bien moins impressionnant que celui des Chutes du Niagara, elle permet de relater l’histoire d’amour (improbable, certes) entre un jeune homme de Brattholt et une jeune femme de Hamarsholt, gardant chacun les moutons de leurs parents, et séparés par la rivière Hvítá. Après s’être faits les yeux doux pendant un moment, la fille finit par persuader le garçon de la rejoindre sur l’autre rive, ce qu’il réussit à faire de manière miraculeuse, et tout finit bien…
L’aventure se poursuit au champ géothermique de Geysir, ensemble de sources chaudes et de restes d’un ancien volcan – si intense que la cuisson traditionnelle islandaise du pain noir est d’enterrer la pâte ! Si les éruptions du Geysir (« jaillir »), qui a donné son nom au geyser et dont l’activité remonterait à environ 10 000 ans (old geezer), se font rares, certains ont bien essayé de le stimuler en y versant du savon, provoquant effectivement une éruption, mais sans suite. Heureusement pour les visiteurs, son voisin Strokkur jaillit jusqu’à 30 mètres toutes les 5 à 10 minutes, déclenchant une éruption d’admiration devant ce spectacle naturel. Marco Evaristti, artiste spécialisé dans le « Shock art », a quant à lui poussé le bouchon un peu loin en saupoudrant ce geyser de colorant alimentaire rose, provoquant une controverse nommée « Pink Geysir ». Malgré les nombreuses indignations, il a été relaxé après avoir affirmé qu’il s’agissait d’un acte de sensibilisation environnementale non polluante.
En ville pour notre dernière soirée (et dernier skyr), les lumières s’éteignent tout à coup les unes après les autres, plongeant durant plusieurs minutes la capitale dans la pénombre et nous, dans le brouillard. Il s’agissait en fait de la clôture du Winter Lights Festival, destinée à sensibiliser autour de l’importance de la lumière et des ressources énergétiques. Bless (you) !